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Papier recyclé
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Extraits

Papier recyclé

Un si grand désir de silence

Editions du Cerf, 2022

"...Dans le plein silence, dans cette présence au monde que je rêve la plus nue et la plus apaisée possible, le réel entier me rejoint. Ce ne sont plus seulement mes frères humains à qui je fais place mais voici mes frères non-humains : les arbres et les herbes, les oiseaux et les insectes, les éveillés à plumes, à poils et à écailles… Je sens battre ma vie et, parce que j’en suis consciente, viennent à ma conscience toutes ces vies qui ne sont les miennes et qui toutes ensemble battent, pulsent, et chantent et s’agitent et font avec moi monde commun. Le matin bruit de battements d’ailes, de grattements de froissements. Le hérisson ronchonne sous le laurier, les fleurs de lilas se défroissent imperceptiblement. Le ver de terre pousse son tunnel sous les tulipes, trois hérons remontent la rivière et en haut du sapin le merle s’égosille ; autour de moi la ville s’éveille. Je ne suis qu’une poussière dans le vivant multiple."

Un si grand désir de silence

Editions du Cerf, 2022

"Tout une part de l’activité de parole – ce que les théoriciens du langage appellent la fonction phatique – ne revient à rien d’autre qu’à établir la communication, manière de dire « je suis avec toi, tu es avec moi, nous sommes là l’un pour l’autre ». Mais pouvoir se tenir ensemble dans le silence, avec un ami ou avec un amour, c’est avoir atteint un stade de la relation où l’on n’a plus besoin de se rassurer. Dans le silence comme dans la conversation, nous présents l’un à l’autre. Cela n’empêche ni les discussions stimulantes, ni les bavardages, ni les fous rires et même : cela les nourrit.

Le silence apaisé de l’écoute est bien un état qui nous relie à nos frères humains. Ouvrant une trouée dans la jungle des bruits, dans le vacarme ambiant, il est la possibilité offerte d’une pause, d’un répit. Il est une invitation à faire tomber, pour un temps, le masque des postures et des convenances sociales. Il engendre un espace pour l’échange vrai.

Dans la nudité du silence, dans la rareté des mots, quelque chose peut enfin se dire et s’entendre. Peut-être avez-vous en mémoire comme moi des rencontres de ce type : il suffit parfois de quelques mots ou d’un sourire, il suffit d’un vrai regard – quand prenons-nous le temps de regarder vraiment celui qui nous fait face ? Et le souvenir longtemps nous en reste, et le moment parfois s’avère déterminant."

Papier recyclé

Le jardin nu

Bayard éditions, 2023

"J’ai donc posé mes bagages dans la maison des castors. Puis, moi qui avais tant marché, tant couru les chemins, je suis allée m’asseoir sous l’arbre, au fond du jardinet en friche.

C’est là que tout s’est passé. Dans l’immobilité. Dans le silence. À l’ombre de la mort, croyais-je alors. Mais il y avait, plus forte que la mort, la présence bienveillante d’un cerisier peuplé d’oiseaux."

Le jardin nu

Bayard éditions, 2023

"Tout est plus vivant de devoir mourir. Tel est l'enseignement. Toute vie est dérisoire, et toute vie est en même temps unique, infiniment fragile - la palpitation de la veine - précieuse en raison même de sa fragilité. A l'individualisme qui consacre Narcisse comme centre de son propre univers, je veux substituer l'attention infinie à chaque individu. A chaque humain, à chaque graine qui tente de toutes ses forces de soulever son tombeau de terre brune pour déployer une promesse de fleur.
A ce prix-là, peut-être, nos minuscules et infinies souffrances seront rédimées."

Les bonheurs de l'aquarelle

Transboréal, 2008

"Que rapportes-tu de ton voyage, voyageur ?
As-tu griffures aux jambes ou bleus à l’âme ?
Que nous rapportes-tu de plus que ce hâle léger de ta peau et quelques rides au coin des yeux ?
Je vous rapporte des mots et des couleurs. Voici un bouquet d’émeraude et de cobalt. Voici le carmin d’un épilobe, l’or d’un collier, l’outremer d’un orage. Voici la laque de garance dont était issue par un matin d’hiver la montagne de la Table dominant la baie du Cap où vaguaient cargos et baleines… Et mêlé aux pigments, en même temps que la poussière de la route, c’est le voyage entier que je vous livre. Ce sont les effluves musquées du marché aux étoffes de Dakar, c’est la nuit qui tombe en longs accords d’orgue sur les vitraux de l’abbatiale de Conques. C’est la peur mauve du sanglier sous les pins, le froid d’un lac suédois qui noue les muscles des mollets, le baiser d’un brin de chèvrefeuille. Le poids du sac. Le goût du pain tiède. Le craquant d’une pomme. C’est l’empreinte, la moisson, la matière brute, le minerai sortant tout juste de la fosse. Plié sur le dessus de mon bagage, je vous rapporte le temps que j’ai passé à me dépayser. La lenteur des jours. Dix minutes en tête-à-tête avec une fleur. Un quart d’heure sous un chêne à regarder tomber l’averse…"

Sagesse de l'herbe

Transboréal, 2018

"Sagesse première, premier enseignement de l'herbe des chemins, de la fleur du sous-bois, du vent qui nous serre elles et moi dans une même étreinte : le trésor de l'être-là. Hic et nunc, ici et maintenant. Toute projection, toute fuite abolie, délivrée du passé comme des incertitudes de l'avenir, je suis invitée à la présence.
Et le monde se dévoile à moi comme ce qu'il est : un espace sacré."

Sagesse de l'herbe

Transboréal, 2018

"Être là, enfin.
Au présent.
Quand reflue ma conscience, ne laissant que l’instant jaillir comme une source. Être comme un brun d’herbe parmi d’autres brins d’herbe, malmené par l’hiver, bruni par la neige, secoué par le vent. Être là, sans plus de quand ni de pourquoi.
M’échapper à moi-même.
Et mystérieusement, me rejoindre."

Tous les jours l'été

La Renarde Rouge, 2019

"J'ai beau me creuser la cervelle, retourner ma mémoire comme on fouille un grenier, je n'ai de ces vacances d'été que de bons souvenirs. Il a dû y avoir, pourtant, des colères et des disputes, des jours d'ennui, de solitude ou de tristesse, des bêtises et des mauvaises nouvelles.

Je ne m'en souviens pas.

Je préfère sans doute ne pas m'en souvenir ; bâtir un sanctuaire pour mes jours d'enfance, protéger à jamais le lieu paradis. J'y abrite ceux que j'aime, ma petite soeur toute ronde et rose, mon père en jeune homme aux yeux clairs, ma mère à la peau douce, parfumée d'eau de pêche."

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